Ces temps-ci on a reparlé
Du racisme dans notre beau pays
L’assiette est ébréchée
Le verre est sale
Les couverts sont mal disposés
On a entendu des propos choquants
Durant le repas de famille
Le cousin s’est levé, fâché
Il a quitté la table
Il n’a pas terminé son dessert
Il a été odieux, le cousin
Il aurait pu nous épargner un scandale
Il n’a même pas fini son assiette
J’ai peur pour lui
Il va avoir la dalle
Le cousin est mulâtre
Pardon, ça ne se dit pas
On va simplement dire qu’il est black
Sa mère est africaine
On ne la connaît pas
Elle n’est jamais venue à nos repas
Lui ne la connaît pas non plus
On ne lui en a jamais fait difficulté
Promis, juré
Avait-on remarqué, même ?
Certainement pas
Il fait partie de la famille
Même si on l’a appelé chocolat
À cinq ans
Devant ses deux boules vanille
De l’humour un peu gras
Il fait des difficultés
Il nous en veut pour tout cela
Il nous accuse d’être racistes
Moi, raciste ? Jamais
Je n’ai jamais eu envie d’exterminer
Les noirs, les juifs et les arabes
Je n’ai pas de croix gammée
Tatouée sur le crâne
D’ailleurs je ne suis pas tatoué
Les autres non plus
Dans la famille, on n’aime pas trop se faire remarquer
Alors on se tait
On fait comme si de rien n’était
Et on a fait comme si le jour
Où mon cousin est rentré en pleurs
Parce qu’on lui avait dit sale race
La veille, il avait croisé un africain
Qui l’avait pris pour un malien
Il ne comprenait pas
Son père a rigolé
On va pas faire d’histoire
Contente-toi de te dire
Que certains sont ignares
Le cousin est français
On lui demande ses papiers
Cela ne m’est jamais arrivé
Mystère et boule de gomme
Boule de neige il m’appelle
Ne serait-ce pas un peu raciste
Racialiste
On lui a pourtant bien expliqué
Que la France ça n’était pas les États-Unis
Qu’ici c’était la République
Et qu’en république la couleur
Ne posait aucune difficulté
La République française a proclamé
Que les hommes et les femmes
Naissaient libres et égaux en droits
La République tape sur tout le monde
Les noirs, les jaunes, les gris
Les gilets jaunes aigris
Elle ne fait pas de différence
Comment pourrait-elle tolérer
De parler des différences
D’aborder le sujet
D’évoquer ses minorités
La République est majorité
Et la famille, c’est sacré
Mon cousin s’est laissé
Remplir la tête par de drôles d’idées
Il me dit qu’à Paris
Les cartes postales sont blanches
Les quartiers pauvres colorisés
Sermonnés, administrés
Avec des gants blancs
Je ne sais rien de tout cela
Je ne crois que ce que je vois
Et au collège nous sommes tous égaux
Pas de traitement de défaveur
Il y a bien Mokhtar au fond de la classe
On l’aime pas mais c’est différent
Rien à voir avec sa couleur
On ne l’avait même pas remarquée
Il est relou, il est violent
Il est un peu bête parfois
On n’est pas des bourgeois mais quand même
Il y a une conduite à tenir
Il y a des choses à respecter
Si l’on ne veut pas être exclu
Avoir vécu dehors pendant six mois
Ne peut pas être une excuse
Quitter son pays en guerre non plus
Malgré les déchirements
J’ai raconté tout cela à mon cousin
Et il s’est agacé tout seul
Il a fait un scandale
Il m’a coupé l’appétit
Alors que j’avais la dalle
Et ces petites souffrances familiales
Elles sont tues, personne n’en parle
Voilà le véritable scandale.
(image: affiche du film Festen de Thomas Vinterberg, 1998)
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